FEMMES DU MONDE ET RECIPROQUEMENT

Fiorella Herrera : « Mon principal engagement au Pérou est de défendre les droits environnementaux et la vie sous toutes ses formes »

Portrait de Fiorella Herrera

La Péruvienne Fiorella Herrera est une défenseuse de l’environnement et la fondatrice de We Can Be Heroes, une ONG qu’elle dirige depuis plus de 10 ans et qui a mis en œuvre plus de 70 projets socio-environnementaux dans des communautés autochtones et vulnérables à travers le Pérou. Elle a commencé à militer après avoir trouvé un dauphin mort, ce qui l’a amenée à se donner pour mission de protéger la biodiversité tout au long de sa vie. Elle œuvre actuellement à la protection de 25 000 hectares de la forêt amazonienne et a formé plus de 2 600 jeunes à la conservation, à la justice climatique et au leadership orienté vers un but précis. Représentant le Pérou dans des organisations mondiales telles que l’ONU, la FAO et Global Shapers, elle imagine un pays connu non seulement pour sa gastronomie, mais aussi comme un leader en matière de protection de l’environnement et de droits humains. Elle est convaincue que lorsque l’on met son âme dans ce que l’on fait, l’impact est durable. Fiorella Herrera, vous êtes une femme engagée pour les droits environnementaux et les droits humains dans votre pays, le Pérou. D’où venez-vous, que vous faites-vous ?  Je suis étudiante en biologie marine et défenseuse des droits environnementaux, de la justice climatique, du développement durable et des droits des communautés indigènes, natives et paysannes. Depuis 2017, je représente le Pérou en tant qu’ambassadrice des Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU et je participe à diverses initiatives telles que Global Shapers, la communauté WECAN de la FAO et la commission environnementale du district de Miraflores à Lima, entre autres. Je suis la fondatrice de l’ONG We Can Be Heroes, qui renforce les capacités des jeunes volontaires à développer des projets socio-environnementaux sur la côte, les hauts plateaux et dans la jungle, qui ciblent les communautés indigènes, autochtones et vulnérables du Pérou. Notre travail vise à lutter contre le changement climatique et nous protégeons aujourd’hui 25 000 hectares de forêt primaire en Amazonie péruvienne, en partenariat avec des acteurs locaux. Quelle est la situation des droits fondamentaux et de l’égalité entre les femmes et les hommes dans votre pays ? En ce qui concerne mon pays, le Pérou reconnaît les droits fondamentaux dans sa Constitution, mais leur mise en œuvre est inégale, en particulier dans les zones rurales et les territoires des peuples indigènes. Les communautés sont constamment menacées par les conflits socio-environnementaux et les activités extractives [ndlr. prospection et exploitation des mines et carrières et ressources naturelles] Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un grave problème dû à la modification de la loi forestière 31973, qui autorise l’exploitation des ressources naturelles en Amazonie péruvienne. Où en sont les discriminations contre les femmes dans votre pays ? Bien que des progrès législatifs aient été réalisés sur les questions d’égalité des sexes, des lacunes persistent dans l’accès à la justice, la participation et la protection des femmes. Les inégalités salariales sont actuellement importantes : seuls 37 % des travailleurs dans l’économie formelle sont des femmes, tandis que les hommes représentent 63 %, et les niveaux de violences faites aux femmes restent élevés. Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la situation. Quelle est la cause principale pour laquelle vous luttez dans votre pays et pourquoi est-ce prioritaire selon vous ? Mon principal engagement au Pérou est de défendre les droits environnementaux et la vie sous toutes ses formes, en protégeant les écosystèmes de la jungle, des hauts plateaux, de la côte et de l’océan. J’ai choisi cette cause parce que je me sens profondément liée à la biodiversité de mon pays : un territoire mégadivers où chaque espèce, chaque forêt, chaque rivière et chaque communauté a une valeur unique et irremplaçable. Lorsque j’ai trouvé un dauphin mort sur la plage en 2013, j’ai compris que je ne pouvais pas rester indifférente. Ce moment a marqué le début d’un chemin de lutte et d’amour pour la nature. Depuis, je consacre ma vie à la protection de la vie marine, des forêts amazoniennes, des montagnes andines et des territoires des communautés indigènes et vulnérables qui sont les gardiennes de ces écosystèmes. À travers mon organisation We Can Be Heroes, je travaille avec les jeunes et les populations locales pour lutter contre le changement climatique par des actions concrètes, en promouvant des projets socio-environnementaux qui naissent des territoires. Pour moi, la défense de la biodiversité n’est pas seulement une cause environnementale : c’est une mission de vie, un acte de justice et une façon d’honorer l’avenir que nous voulons construire. La nature et l’humain sont donc indissociables. Dans votre engagement, est-ce que vous vous heurtez à des obstacles spécifiques du fait que vous êtes une jeune femme ? Oui, en tant que jeune femme et activiste, j’ai rencontré plusieurs obstacles, en particulier dans les régions rurales et en Amazonie, où le machisme est encore profondément ancré dans de nombreux espaces. Plus d’une fois, j’ai eu l’impression que ma voix n’était pas prise au sérieux ou que quelqu’un de plus âgé ou de plus masculin était censé mener les conversations, même lorsque j’étais en charge du projet ! Au cours de nos travaux de conservation dans la forêt tropicale, par exemple, j’ai dû faire preuve de deux fois plus d’engagement et de connaissances pour être entendue. J’ai reçu des commentaires condescendants et j’ai dû franchir des barrières culturelles qui minimisent ou délégitiment le rôle des femmes dans les questions techniques, environnementales ou de leadership communautaire. N’est-ce pas un peu décourageant parfois ? Non, ces défis ne m’ont pas ralentie, au contraire, ils m’ont renforcée ! Je crois fermement que notre présence transforme les réalités. Chaque fois qu’une fille ou une jeune femme d’une communauté amazonienne me dit qu’elle veut défendre la nature comme moi, je sais que nous ouvrons la voie à d’autres femmes pour qu’elles prennent le leadership sans crainte, à partir de leur identité, de leur territoire et de leur force. Pour moi, chaque obstacle que je rencontre finit par être une opportunité : soit pour m’améliorer, soit pour … Lire la suite

Jocelyne Adriant-Mebtoul : « je pense que la diplomatie féministe peut devenir une arme de paix »

Portrait de Jocelyne Adriant-Mebtoul au Forum des Femmes - 2024

Comme chaque automne à Paris, le Women’s Forum a ouvert son grand rendez-vous annuel les 23 et 24 octobre 2024 dans la Maison de la chimie sur le thème de la réconciliation, tandis que les conflits armés n’ont jamais été si nombreux et que le nombre de femmes qui en sont victimes a doublé en 2023, selon le rapport de l’ONU rendu la veille, 22 octobre, sur les femmes, la paix et la sécurité. Plus de 1700 personnes s’y sont pressées pour entendre des exper·tes du monde entier sur les thématiques de la participation des femmes dans tous les domaines de décision, de l’économie au climat, de la santé aux affaires et à la « tech », de la culture au droit et à la politique. La diplomatie féministe comme instrument de re- connexion des Nations entre elles pour favoriser la coopération et la paix y était à l’honneur avec une table ronde qui réunissait autour de la journaliste new-yorkaise Kathryn Pilgrim : l’Ambassadrice Vanessa Frazier, Représentante permanente de Malte aux Nations Unies ; Arancha Gonzalez, Doyenne de l’Ecole des Affaires Internationales de Paris Sciences Po, Ancienne Ministre des Affaires Etrangères d’Espagne ; Begoña Lasagabaster, Directrice de l’égalité des genres à l’UNESCO ; et Jocelyne Adriant-Mebtoul, Présidente de la Commission internationale du Haut Conseil à l’Egalité et fondatrice de l’ONG Femmes du Monde et Réciproquement sur les droits des femmes à l’international. 50-50 Magazine reprend ici les questions posées par la journaliste américaine Kathryn Pilgrim à Jocelyne Adriant-Mebtoul. Comment définiriez vous la diplomatie féministe… En quelques mots, que signifie-t-elle pour vous et quel est son lien avec la notion de « réconciliation » ? Dans un monde en chaos, je crois que la diplomatie féministe est un instrument précieux Pour avoir co-produit le rapport 2023 sur la diplomatie féministe de la France, dans le cadre des missions du Haut Conseil à l’Egalité, je la définis comme la politique d’un Etat qui met au cœur de son action extérieure l’égalité femmes/hommes et la solidarité internationale avec les femmes dont les droits sont bafoués partout dans le monde. Cette dimension peut tout changer car c’est une approche transformatrice de la société. Elle vise notamment à substituer des enjeux de paix aux enjeux de rapports de force et de domination de nos sociétés patriarcales. Pour vous répondre sur le lien avec la « réconciliation », je pense que la diplomatie féministe peut devenir une arme de paix, si les Etats et les politiques qui nous gouvernent le veulent vraiment, car tout est question de volonté politique. Quand la volonté est réelle, les moyens suivent. Vous êtes à la tête de l’organisation «Femmes du monde et réciproquement  et vous êtes depuis longtemps dans le domaine de la participation des femmes aux institutions. En tant que société, nous avons beaucoup progressé en matière de participation des femmes et, en 2024, il semble que nous assistions à un énorme retour en arrière. Pourquoi pensez-vous que cela se produit ? Ce recul s’est amorcé depuis quelques années déjà. Premièrement, à cause des crises mondiales multiples : la pandémie de Covid 19 continue d’avoir un impact délétère dans les domaines sanitaire, de l’économie, du social et de l’environnemental et on en a pour des années à s’en remettre. Deuxièmement, à cause de la vulnérabilité des populations précarisées par les crises : plus les gens se sentent démunis, plus ils ont peur de l’avenir pour eux et pour leurs proches, et plus ils recherchent des personnages « providentiels » qu’ils croient capables de les sauver parce qu’ils parlent de sécurité, de monter des murs au lieu de construire des ponts, de rejeter tout ce qui peut représenter une menace réelle ou supposée. Troisièmement, et c’est le résultat des deux premiers points, on assiste à la montée des régimes autoritaires au même rythme que reculent les démocraties : les régimes autoritaires sont près de 50% sur la planète : ils ont triplé en 30 ans. Et avec eux les conflits prolifèrent sur la planète. On en dénombre une centaine au moment même où on se parle. Les budgets des armées au niveau mondial ont d’ailleurs atteint un record historique. C’est dire ! La conséquence c’est que les droits des femmes et des filles reculent dans les mêmes proportions. L’ONU a rendu avant-hier son rapport alarmant sur les femmes dans les conflits : le nombre de femmes tuées dans les conflits armés a doublé en un an et les violences sexuelles ont augmenté de 50%, le droit international étant de moins en moins respecté par les belligérants et par les Etats qui sont censés le garantir en tant que membres de l’ONU ! Aujourd’hui, qui le respecte en Ukraine, à Gaza, au Soudan, en Afghanistan, au Yémen et ailleurs ? Les droits des femmes sont le baromètre de la société, quand ils vont bien la société va bien et inversement. Regardez l’état économique et politique catastrophique de l’Afghanistan, regardez la situation sociale de la République démocratique du Congo, l’un des pays les plus riches de la planète par son sous-sol minier mais où la population est parmi les plus pauvres : c’est le pays où des millions de femmes et de filles ont été violées et mutilées sexuellement, on dit que c’est « le pays du viol ». Et à l’inverse regardez l’Espagne qui a mis en place une véritable stratégie contre les violences et pour les droits des femmes, qui a réussi en moins de 20 ans à faire diminuer de plus d’un tiers le nombre de féminicides. Il est deux fois moins élevé qu’en France aujourd’hui. C’est donc bien une question de volonté politique. Si l’on se projette dans l’avenir, à quoi ressemblera, selon vous, la diplomatie féministe ? Quelles seront ses implications ? Je pense que la diplomatie féministe est encore en construction. C’est un concept très jeune, qui doit grandir, s’incarner. Il a à peine 10 ans. Aujourd’hui une vingtaine de pays annoncent en avoir une, mais il n’y a pas de définition commune, chacun y met sa propre recette (parfois cela ressemble plus à une … Lire la suite

Anne-Cécile Robert : « Journalisme et enseignement sont des formes de transmission » 1/3

Portrait d'Anne-Cécile ROBERT

Anne Cécile Robert est directrice adjointe du Monde diplomatique, enseignante et essayiste. Face aux bouleversements du monde et aux risques d’une troisième guerre mondiale, cette spécialiste des institutions européennes et internationales, comme l’ONU, qui a écrit plusieurs livre, nous rappelle dans cet entretien les valeurs pacifistes et humanistes qui constituent sa grille de lecture du monde, son engagement pour la réhabilitation de la paix et sa foi dans le pouvoir de la société civile. Anne-Cécile Robert, vous co-dirigez Le Monde Diplomatique, le journal français le plus diffusé au monde avec ses 36 éditions dans 27 langues. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette institution du journalisme qui tient une place à part dans la presse nationale et internationale ? Le Monde diplomatique est un mensuel du groupe Le Monde, fondé il y a plus de 70 ans et destiné à l’origine aux ambassades. Depuis une trentaine d’année, il dispose de sa propre rédaction, de ses structures juridiques et de son projet éditorial. Le Monde diplomatique suit l’actualité internationale sans écarter aucun aspect, outre la dimension diplomatique et les relations internationales, il intègre aussi l’économie, le social, la culture, l’histoire. Nous refusons de courir après l’actualité immédiate et choisissons au contraire de prendre le temps de la réflexion et du recul, y compris historique. D’ailleurs notre devise est : « On s’arrête, on réfléchit ». Nous faisons aussi appel à des contributeurs d’horizons divers et sommes dans une approche pluridisciplinaire. Nous avons deux grandes préoccupations : d’une part, être un journal de contre-information, afin de fournir une information qu’on ne trouve pas forcément ailleurs et d’autre part, analyser et critiquer les rapports de domination quels qu’ils soient : Nord/Sud, colonial, mais aussi économique, sociale et, évidemment, de domination des hommes sur les femmes. Je pense que notre lectorat nous est fidèle pour cette constance dans nos lignes directrices et nos valeurs humanistes. Comment et pourquoi avoir choisi Le Monde diplomatique et les enjeux internationaux ? Au départ, je ne me destinais pas du tout au journalisme, mais à l’université. Je suis docteure en droit européen, mais dès mes années lycée j’ai été une grande lectrice du Monde diplomatique. J’ai eu la chance de faire la connaissance de Bernard Cassen (1), qui malheureusement vient de nous quitter. Directeur du Monde diplomatique, il m’a dit un jour : « il y a une place pour toi si ça t’intéresse”. Je n’ai pas hésité une seconde, parce que c’était le Monde diplomatique et ce projet éditorial, sinon je ne serais pas devenue journaliste. D’ailleurs, je n’ai jamais abandonné l’université : j’enseigne à l’IRIS, j’ai été professeure associée à l’Institut européen de l’Université Paris 8 pendant 20 ans et j’enseigne aujourd’hui à Paris 2. Journalisme et enseignement sont des formes de transmission, comme les livres que j’écris, c’est un tout. Mais j’apprécie énormément d’être au Monde diplomatique parce que c’est un espace de liberté essentiel. Il y a peu de journaux où l’on peut s’exprimer librement. J’aime cette possibilité qui m’est offerte d’écrire des articles longs avec des sources, comme dans les revues universitaires. Je pense donc continuer comme ça, à la fois au Monde diplomatique et à l’université, c’est assez cohérent. J’aimerais revenir sur votre dernier livre Le défi de la paix : remodeler les organisations internationales. Sur une planète qui semble s’engouffrer dans la guerre, comment fait-on pour préserver une paix mondiale de plus en plus en fragile, face à certains gouvernants fauteurs de guerre (tous des hommes d’ailleurs) qui prônent la force au détriment du droit international ? Comment revaloriser les notions de paix et d’humanisme et réformer les organisations internationales, à commencer par l’ONU ? Il y a plusieurs aspects… La première chose est de formuler le bon diagnostic, sinon on ne peut pas apporter les bonnes réponses. Je le développe dans Le défi de la paix.  Nous sommes à la fin d’un cycle historique : on vit un changement politique, géopolitique, juridique mais aussi philosophique. C’est quelque chose d’extrêmement profond qui fait tout vaciller sur ses bases : l’ordre mondial né après 1945 risque de disparaître pour être remplacé par un autre, peut-être plus chaotique. La deuxième chose, c’est de poser ce diagnostic de manière juste. Pendant des années, ça a été “un sport national”, voire un sport international, de dire du mal de l’ONU. Il y a eu des articles, des livres pour expliquer à quel point ça ne marchait pas, pour critiquer sans nuance, détruire. Certes, l’ordre international dans lequel nous sommes depuis 80 ans a des défauts. Il a notamment abrité la domination des deux super grands, les Etats-Unis et l’Union Soviétique. C’est vrai que l’ONU est bureaucratique, que le Conseil de sécurité est paralysé par le droit de véto. C’est vrai qu’il y a eu et qu’il y a toujours des échecs : aujourd’hui l’ONU est impuissante à arrêter la guerre en Ukraine comme à Gaza. Mais il faut aussi dire que le système a fonctionné pendant 80 ans. Tout d’abord, il a rempli sa mission fondamentale : éviter la Troisième Guerre mondiale. Une ou deux fois, nous sommes passé·es à quelques heures de son déclenchement et c’est grâce à l’ONU, entre autres, que nous l’avons évité. Pendant 80 ans, l’ONU a permis la coopération internationale, a créé des programmes humanitaires, distribué des milliards d’aide, permis la signature de milliers de traités pour la culture, le social, le développement, le désarmement… ça a marché. Alors, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, voyons les choses avec justesse. Enfin la troisième chose, c’est l’une des raisons pour lesquelles on est en train de basculer dans des logiques de force, on a oublié les leçons de l’Histoire. On a beaucoup évoqué, invoqué le devoir de mémoire. Mais on a fait davantage de devoir de mémoire que de devoir d’Histoire. Si on sait qu’il y a eu la guerre, mais qu’on ne comprend pas ce qui a conduit à la guerre, les mécanismes politiques, historiques, économiques qui ont amené les puissances à faire la guerre, on ne se prémunit pas contre le retour de ces mécanismes. C’est le retour de logiques de force qu’on a connu dans le passé et que, malheureusement, notre défaut de transmission historique ne nous a pas permis de détecter plus tôt. Quelles sont ces logiques de force ? Elles sont de plusieurs ordres. Premièrement, on a des logiques de force liées au fonctionnement du système économique. On a vu depuis des années s’exacerber une course folle aux ressources, à l’énergie, aux terres rares. C’est l’un des carburants de la confrontation entre les Etats-Unis et la Chine, par exemple, qui va mettre la main sur les ressources du Congo ou sur les microprocesseurs, les métaux rares? Or, quand ce n’est pas régulé, indépendamment des dégâts sur l’environnement, ça conduit à … Lire la suite

Anne-Cécile Robert : «Le combat pour la paix commence par la mobilisation citoyenne» 2/3

Portrait d'Anne-Cécile ROBERT

Anne-Cécile Robert est directrice adjointe du Monde diplomatique, enseignante et essayiste. Face aux bouleversements du monde et aux risques d’une troisième guerre mondiale, cette spécialiste des institutions européennes et internationales, comme l’ONU, qui a écrit plusieurs livres sur ces questions, nous rappelle dans cet entretien les valeurs pacifistes et humanistes qui constituent sa grille de lecture du monde, son engagement pour la réhabilitation de la paix et sa foi dans le pouvoir de la société civile. Vous dites, en d’autres termes, que par leurs agissements les Occidentaux ont perdu leur crédibilité face à ce qu’on appelle le Sud global. Faudrait-il alors que les puissances occidentales commencent par reconnaître leurs responsabilités dans le chaos actuel ? Oui, ce serait un premier pas et c’est une des solutions avancées dans mon livre. Parce que tant qu’on continuera à distribuer les bons et mauvais points, comme si on n’avait aucune part de responsabilité dans ce qui se passe, on ne sera pas entendus. C’est pourquoi l’un des enjeux aujourd’hui est d’améliorer la représentation des pays du Sud dans l’ONU et notamment dans le Conseil de sécurité constitué de cinq Etats, qui décident pour l’ensemble des 193 pays membres. Est-ce que ce type de recommandation est pris en compte ? Sur la question de la représentation du Sud, les choses bougent, lentement certes, mais elles bougent. Le statut de membre permanent du Conseil de sécurité pourrait s’ouvrir à court ou moyen terme à des États africains et des pays du Sud. Par ailleurs, lors du Sommet de l’Avenir à New York, les pays du Sud se sont coalisés et ont obtenu une meilleure prise en compte de leurs revendications sur le nouvel ordre économique international, la réforme de l’architecture financière, l’injustice climatique, Donc selon vous, les choses bougent dans le bon sens même si c’est lent et modeste ? Disons qu’il y a des signaux faibles mais il faut les encourager. La planète est à un moment d’hésitation entre verser complètement dans le chaos ou essayer de sauver quelque chose. Nous qui pouvons faire circuler des idées, nous devons saisir cette opportunité de porter ces solutions possibles. Comment faire concrètement pour remettre au centre du jeu les valeurs humanistes et de paix, ainsi que les organisations internationales dont les missions sont de les préserver ? Nous venons d’évoquer quelques réformes très concrètes à réaliser, le Conseil de sécurité et la nécessité de re–crédibiliser un discours de paix. On entend beaucoup trop dire aujourd’hui que c’est une idée naïve, ce qui n’est pas vrai. Et je dois dire que je suis assez déçue de la passivité de certains grand·es intellectuel·les qui interviennent sur un tas de sujets, mais pas du tout sur celui-ci, alors qu’il est crucial. Or, nous qui sommes Français·es avons une capacité d’influence, car la France reste une grande puissance mondiale, une force nucléaire, un pays présent quasiment sur tous les continents, et surtout un Etat dont la voix porte en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Aussi, l’une des solutions concrètes est que les citoyen·nes se mobilisent, manifestent, s’organisent pour influer sur la marche des choses. Il faut faire pression sur nos élu·es, écrire à nos député·es, à nos maires, au gouvernement, au président de la République pour exiger que la France assume ses responsabilités. Avec un peu de courage politique, notre pays pourrait très concrètement tenir ce rôle historique, qu’il a eu dans le passé. En utilisant son statut pour ouvrir des espaces à tous ces pays qui s’expriment mais que personne n’entend, en donnant davantage la parole aux pays du Sud, en faisant respecter le droit international et en le valorisant. Vous savez, je donne des conférences un peu partout et dans des milieux très divers. Eh bien, je suis étonnée du nombre de gens qui viennent me voir pour discuter, parfois très longuement, de la paix, de l’ONU. C’est un sujet qui, pense-t-on, n’attire pas les foules, mais qui intéresse pourtant un grand nombre de personnes. Pour autant, quel est le pouvoir réel de la société civile ? Pensez-vous qu’effectivement, on peut faire changer les choses ? Si je ne le pensais pas, je partirais à la campagne élever des chèvres ! Rappelez-vous que tous les droits qu’on a obtenus, on les a conquis, en partant de rien. Cela peut paraître insurmontable, mais à un moment, il faut mener les combats parce qu’ils doivent être menés, pas parce qu’on est sûr de les gagner. Le combat pour la paix commence par la mobilisation de la société civile. Et là, il y a urgence il faut y aller. Avez-vous en tête une recommandation supplémentaire ? Outre la pression citoyenne, je pense qu’il faut aussi faire des liens entre les différents milieux. Je suis très frappée de constater combien de gens luttent pour le droit international, l’humanisme, la paix, le respect et la dignité des plus vulnérables, mais agissent de manière isolée chacun dans son domaine : universitaires, ONG, enseignant·es, juristes, mais il n’y a pas de convergences car ces mondes ne se rencontrent pas. Or, ces luttes doivent se rejoindre et s’additionner. Il faut communiquer, créer des liens, faire circuler les idées, c’est essentiel. Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine Article publié le 29 juillet 2025 dans 50/50 magazine Jocelyne ADRIANT-MEBTOUL, présidente Spécialiste des questions féministes à l’international

Anne-Cécile Robert : « Il y a une bataille culturelle à mener pour revaloriser les notions de collectif et de responsabilité envers autrui » 3/3

Portrait d'Anne-Cécile ROBERT

Anne Cécile Robert est directrice adjointe du Monde diplomatique, enseignante et essayiste. Face aux bouleversements du monde et aux risques d’une troisième guerre mondiale, cette spécialiste des institutions européennes et internationales, comme l’ONU, qui a écrit plusieurs livres, nous rappelle dans cet entretien les valeurs pacifistes et humanistes qui constituent sa grille de lecture du monde, son engagement pour la réhabilitation de la paix et sa foi dans le pouvoir de la société civile. Dans les conflits actuels ce sont des gouvernants hommes qui décident unilatéralement d’user de la force plutôt que de la diplomatie multilatérale. Pour ne citer que ceux à la Une de l’actualité : Poutine, Trump ou Nethanyahu n’ont que faire du droit international et montrent leurs biceps. N’y a-t-il pas un lien évident entre pouvoir, violence et masculinité ? Je me pose pas la question en ces termes, parce que lorsque j’écoute Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, j’entends un homme qui défend à fond les valeurs de paix. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, aussi. Parallèlement, des femmes, dont certaines sont ministres aujourd’hui, ne défendent pas du tout des valeurs pacifistes et humanistes. La question est celle du pouvoir et de la conception qu’on a du pouvoir. Même dans les organisations de type progressiste, le pouvoir est souvent conçu de la même manière, c’est-à-dire vertical, unilatéral, parfois appuyé sur la coercition et la violence. Ce qui fait que quelque soit la personne qui l’exerce, elle l’exerce de la même manière . C’est à cela qu’il faut réfléchir. J’aime bien cette phrase de Michel Foucault : «Le pouvoir ne se prend pas, il s’exerce». La réflexion sur l’exercice du pouvoir reste très limitée. Qu’est-ce que c’est qu’un exercice collectif du pouvoir ? Qu’est-ce qu’un exercice partagé du pouvoir dans lequel chacun pourrait se reconnaître et qui profiterait à tous ? Je ne dis pas que c’est simple, mais je pense que ça s’éduque, ça se réfléchit. Nos sociétés éduquent très peu au collectif et favorisent en permanence les réflexes “individualistes”, renforcés par l’usage des réseaux sociaux, le narcissisme, etc. Il y a une bataille culturelle à mener pour revaloriser le collectif, les notions collectives, de responsabilité envers autrui. On est beaucoup dans des logiques de droit et très peu dans des logiques de devoir. L’une des caractéristiques de l’idéal républicain français sous la Troisième République, était que la logique des droits accompagnait la logique des devoirs. Et que plus vous aviez de pouvoir, plus vous aviez de devoirs. Cette notion des devoirs envers les autres, envers la collectivité, s’est amenuisée aujourd’hui. Elle était beaucoup plus puissante, il y a quelques décennies, dans les associations laïques, les associations communistes, les mouvements humanitaires, mais une bataille culturelle a été menée et a malheureusement favorisé une sorte de transformation de l’être humain en son propre produit, au détriment de ce qui le relie aux autres. Sans doute aussi parce que laisser le champ libre aux logiques verticales, est peut-être plus facile. Il faut donc réhabiliter la collectivité, l’écoute. Oui justement. Les femmes ont davantage été éduquées avec ces valeurs du collectif, de l’attention à l’autre. Et par exemple, on sait que lorsque des femmes participent aux négociations pour la paix, elles sont plus solides et plus durables. Ne pensez-vous pas que si il y avait un peu plus que les 10% actuels de chefs d’État et de gouvernement femmes, c’est-à-dire si on avait une société plus mixte au pouvoir, ce serait l’ouverture vers cet autre mode de gouvernance dont vous parlez ? Là encore, on retrouve l’enjeu des valeurs et qui les portent. Le fait qu’il y ait si peu de femmes est un problème en soi et c’est un problème parce que c’est le résultat d’une discrimination. Or, il y a la question des discriminations envers les femmes mais aussi, comme nous l’évoquions tout à l’heure, celles envers les pays du Sud, envers les classes sociales défavorisées, envers celles/ceux qui n’ont pas les outils culturels. Le constat selon lequel quand il y a plus de femmes aux tables de négociation, la paix est plus solide, ce n’est pas parce qu’elles sont nées femmes mais le résultat de mécanismes sociaux. C’est ce sur quoi il faut travailler : créer des espaces où il y a moins de discriminations, plus d’ouverture, plus de réceptivité à des modèles, des rapports sociaux différents. J’ai travaillé à une époque sur les sociétés africaines traditionnelles, il y avait culturellement, et jusqu’à présent, une mise en avant du collectif, des valeurs sociales par opposition aux valeurs individualistes, et ce, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes. Je pense qu’on a besoin de plus de ces valeurs africaines, on a besoin d’arbres à palabres, on a besoin de toutes ces choses que les sociétés africaines connaissent, dont Nelson Mandela parlait beaucoup, Kofi Annan également. C’est ce type de diversité qui est intéressant, c’est la diversité sociale, culturelle, intellectuelle qui nous manque aujourd’hui face à un modèle unique qui étouffe tout et qui, de plus, a trouvé ses limites aujourd’hui. Il faut qu’on ait des modèles de transmission et des modèles culturels et éducatifs qui favorisent la diversité des sensibilités, des appréhensions, quel que soit le sexe, sans assignation. Je suis convaincue qu’il faut vraiment arriver à universaliser la manière de poser les problèmes afin que personne ne se sente obligé d’être porte-parole de quelque chose s’il n’en a pas envie. Un mot de conclusion ? Ma conclusion, c’est qu’il faut que tou·tes les citoyen·nes, où qu’ils et elles soient, se mobilisent, parce que rien ne se fera, si on attend tout de celles/ceux qui nous dirigent. Que chacun·e prenne sa part pour essayer de changer le climat intellectuel et culturel actuel, qui est un climat d’affrontement, de guerre civile, de guerre mondiale. Il faut vraiment combattre ça. D’autant plus que cet état d’esprit guerrier peut être présent chez certains dirigeants, mais qu’il est loin d’être dominant dans la société. Propos recueillis par Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine Première publication le 31 juillet 2025 dans 50/50 magazine … Lire la suite

Violences, une affaire d’hommes ?

Une femme protégeant son visage en croisant les bras en geste de défense - image générée par IA

Sommaire Des chiffres et des faits 50 000 féminicides par an sur la planète, 736 millions de femmes victimes de violences physiques ou sexuelles par leur conjoint ou un autre homme, le plus souvent un proche : coups, blessures, maltraitances, tentatives de viol, viols, meurtres… 58% des meurtres de femmes ont été commis par leur partenaire ou un membre de leur famille. En 2020, année où la pandémie du Covid 19 a favorisé une explosion des violences domestiques, 137 000 femmes ont été tuées (1). L’équivalent de villes comme Limoges, Amiens ou Clermont-Ferrand, qu’on aurait rayées de la carte en décimant la totalité de la population. La prévalence des violences masculines contre les femmes est avérée partout dans le monde, sous toutes les latitudes, dans toutes les régions, toutes les classes sociales, toutes les cultures, quel que soit le contexte géopolitique dans lequel elle s’opère. Il s’agit d’un problème global et systémique qui ne peut être résolu sans une remise en question radicale du modèle patriarcal de nos sociétés, et sans une action collective qui implique les Etats, les institutions, les organisations de la société civile et les individus. Vaste programme. Pourtant, la prolifération des guerres et des conflits aux quatre coins du globe, la généralisation des violences sexospécifiques subies par les femmes et les filles, en zone de conflits comme en temps de paix, appellent à prendre conscience de l’urgence. Car ce phénomène de discriminations d’un sexe par l’autre, de domination par la force et de subordination systémique d’une moitié de l’humanité, met en danger la société humaine tout entière. Des violences physiques « Le féminicide est, selon moi, l’exécution d’une femme parce qu’elle est une femme » explique l’historienne Christelle Taraud qui a dirigé Féminicides. Une histoire mondiale, l’ouvrage magistral pour lequel elle a réuni une équipe multidisciplinaire de plus de 130 expert.es et chercheur.es. Elle poursuit : « Le féminicide n’est jamais un acte spontané, il y a une très longue histoire de violence avant l’acmé de cette violence, qui est la destruction physique de la personne ». A ce jour, le féminicide, crime systémique et sexiste n’est pas encore reconnu comme tel dans le Code pénal français. L’éventail est large des violences physiques et sexuelles qui mènent au meurtre dans le continuum féminicidaire, cette « machine de guerre dirigée contre les femmes ». De la gifle au sur-meurtre (déchaînement de violences ante ou post mortem du meurtrier à l’égard de sa victime), on trouve de multiples déclinaisons. Observons en quelques unes. Les mutilations génitales féminines sont présentées comme « culturelles » ou « cultuelles », alors qu’aucune religion n’a jamais prescrit aucune mutilation sexuelle de cette sorte. Le mariage forcé et les grossesses précoces favorisent les violences masculines dans un rapport de domination mentale et physique, a fortiori le mariage de petites filles à des hommes adultes. La traite humaine en vue d’esclavage ou de prostitution concerne en grande majorité des femmes, lesquelles représentent 72% des victimes : elles sont les premières proies des trafiquants qui surveillent les routes de l’exil et de la migration où les femmes se jettent pour fuir la guerre, la pauvreté ou la désertification et le réchauffement climatique. Le viol de guerre est soit le fait d’individus s’appropriant le corps des femmes comme leur butin, soit le fait de chefs militaires ou de bandes armées qui décident de l’utiliser comme arme de guerre, pour humilier le peuple ennemi, engrosser les femmes, afin de le coloniser démographiquement, ou au contraire détruire leur appareil génital pour empêcher qu’il se reproduise et se perpétue. Le corps des femmes devient là encore le champ de bataille de guerriers, le champ des violences masculines. L‘impact de ces violences physiques est énorme. Les victimes sont davantage susceptibles de souffrir de problèmes de santé chroniques, de douleurs: troubles gastro-intestinaux, troubles du sommeil, troubles de stress post-traumatique, problèmes de santé sexuelle et reproductive, grossesses non désirées, avortements clandestins, complications pendant la grossesse, etc. Il existe tout un arsenal d’autres violences : psychologiques, économiques, institutionnelles. Il n’y a pas que les violences physiques. Au-delà des coups, des viols ou des meurtres, il existe tout un arsenal de violences moins visibles mais qui font des dégâts considérables à long terme sur la vie des femmes et des filles. Ce sont les violences psychologiques. Intimidations, manipulations, surveillance, menaces, humiliations, emprise, ou contrôle coercitif, minent durablement la santé émotionnelle et mentale et conduisent à la perte de confiance en soi, à la dépression, à l’isolement social, voire parfois au suicide. Ce sont les violences économiques. Selon la Banque mondiale 2,4 milliards de femmes en âge de travailler ne bénéficient pas des mêmes droits économiques que les hommes. Outre les inégalités salariales constantes à des degrés divers dans l’ensemble des pays, les femmes victimes de violences sont souvent contrôlées par leur conjoint dans leur gestion de l’argent, quand elles ne sont pas carrément privées de leurs ressources. Par ailleurs, on sait que les femmes les plus pauvres ont deux à trois fois plus de risques de subir des violences physiques de leur conjoint. Ce sont enfin les violences institutionnelles, les institutions n’étant pas décorrélées du système patriarcal qui les érige, et qu’elles nourrissent à leur tour. Deux milliards de femmes et de filles dans le monde n’ont ainsi accès à aucune forme de protection sociale, indique ONU Femmes. Elles font globalement face à une absence de protection et de justice dans les systèmes juridiques, médicaux et éducatifs. Elles représentent les deux tiers des personnes analphabètes et les filles ont un accès beaucoup moindre à la scolarité que les garçons. Elles forment la moitié de la main d’œuvre agricole tout en produisent 60 à 80% de l’alimentation dans les pays en développement, mais sont moins de 15% des propriétaires des terres agricoles, car elles ne bénéficient pas du même accès que les hommes aux ressources productives et aux prêts bancaires. Quant à l’accès aux autorités de police et de justice, les violences conjugales restent très souvent minimisées si elles ne sont pas totalement ignorées, car considérées du domaine privé, dans de nombreux Etats. Mieux vivre ensemble Y a … Lire la suite

Les droits des femmes, de la Conférence de Pékin en 1995 à aujourd’hui en 2025

Image du siège des Nations Unies à New York - image générée par IA

L’année 2025 marque les trente ans de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, adoptés lors de la Conférence mondiale sur les femmes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1995. C’est un anniversaire important pour les droits des femmes dans le monde. Selon ONU femmes, ils constituent « le plan le plus complet et le plus visionnaire jamais créé pour parvenir à l’égalité des droits pour toutes les femmes et les filles ». Ce n’est probablement pas ce qu’on appelle un sujet « grand public », mais c’est un enjeu majeur pour la moitié de l’humanité et pour la société tout entière. C’est en tout cas l’occasion de faire un point sur l’évolution des droits des femmes sur notre planète bleue, rougie ces dernières années par la prolifération des conflits sanglants, le record historique du montant global des budgets de défense, tous Etats confondus, et l’augmentation du nombre de morts violentes, en zone de guerre ou en temps de paix. Chine, septembre 1995. Des centaines d’Etats membres des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales (ONG), des milliers de délégué.es de gouvernements et d’institutions, des milliers de femmes et d’hommes – des femmes essentiellement – de la société civile internationale, des expert.es, des militant.es, au total 17 000 personnes, se pressent à Pékin (on dit Beijing aujourd’hui), pour la quatrième Conférence mondiale sur les femmes organisée par l’ONU. Cet évènement hors normes allait marquer un tournant dans l’histoire des droits des femmes et donner naissance à la Déclaration et la Plateforme d’Action de Pékin, adoptée par un consensus mondial des 189 Etats formant les Nations Unies. Elle produira un cadre global pour promouvoir l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes et des filles au niveau international, décliné en douze domaines critiques, considérés comme les obstacles fondamentaux à l’autonomisation des femmes et à leur accès à l’égalité réelle avec les hommes. Pour mémoire, les douze points de vigilance cruciale sont la pauvreté, l’éducation et la formation des femmes, la santé, les violences contre les femmes, la condition des femmes dans les conflits armés, l’économie, le pouvoir et la prise de décision, les mécanismes institutionnels, les droits humains des femmes, les media, l’environnement, et enfin les petites filles. L’idée est que si les Etats s’attaquent frontalement à ces obstacles, alors l’égalité entre les femmes et les hommes deviendra une réalité. L’objectif de la plateforme est d’une part de fournir un cadre d’action international, qui guide les politiques en faveur de l’égalité, et d’autre part, de montrer la nécessité d’intégrer les droits des femmes dans l’ensemble de la vie économique, sociale et politique, pour une société plus juste et prospère. Chacun des 189 pays signataires s’est engagé à mettre en œuvre les objectifs de la plateforme dans ses législations et ses politiques nationales, et d’en rendre compte régulièrement, l’ONU étant chargé de soutenir les Etats dans l’application de leurs engagements et d’assurer l’organisation de l’évaluation par l’ensemble des pays tous les 5 ans. De fait, en trente ans, on note des progrès considérables dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, dans l’accès à la santé et à l’éducation, dans la participation politique et économique, dans les législations. Ainsi par exemple, on constate une meilleure protection juridique des femmes et des filles dans le monde avec aujourd’hui plus de 1583 lois contre les violences adoptées dans 193 pays contre seulement 12 pays en 1995. Et sur la question des femmes dans les conflits, les plans nationaux d’action, intitulés Femmes, Paix et Sécurité sont à présent 112 , contre 19 en 2010. Mais on constate aussi des inégalités persistantes et, plus inquiétant, des reculs législatifs et « moraux » renforcés par l’impact délétère des crises mondiales et notamment la pandémie de COVID 19 dont on subit encore aujourd’hui et pour longtemps les conséquences. Dans quelques semaines, le 10 mars prochain, s’ouvrira la 69ème session de la commission du statut des femmes (CSW 69) de l’ONU à New York comme chaque année à la même période. Elle sera précisément dédiée à la Déclaration et au programme d’action de Beijing. ONU femmes affirme : « De nos jours, une fille de quinze ans vivant dans le monde en développement a plus de chances que jamais. Par rapport aux générations précédentes, il y a moins de risques qu’elle vive dans une extrême pauvreté et il y a plus de chance qu’elle puisse grandir en bonne santé et bien nourrie. Le taux de mortalité maternelle a chuté de 38% entre 2000 et 2017 alors qu’il reste élevé dans certaines régions du monde. Au niveau mondial, cependant, les femmes âgées de 25 à 34 ans ont 25% plus de risques que les hommes de vivre dans une pauvreté extrême. Bien que le nombre d’enfants non scolarisés dans le primaire et le secondaire ait presque été divisé par deux depuis 1995, 32 millions de filles en âge d’aller à l’école primaire ne fréquentent toujours pas l’école. Le taux de mariages d’enfants est passé d’un sur quatre à un sur cinq, mais 650 millions de femmes vivant dans le monde aujourd’hui se sont mariées avant leur dix-huit ans. La politique reste un domaine principalement masculin, les trois-quarts des sièges parlementaires étant occupés par des hommes ». Il reste encore beaucoup à faire. Mais, malgré le backlash qui est dénoncé à juste titre et la vigilance qu’il nous faut garder, les droits des femmes avancent envers et contre tout. Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine 50-50 Magazine sera à la CSW 69 pour cette édition spécialement dévolue à la conférence de Pékin et rendra compte dans ces colonnes du bilan établi à l’ONU sur l’évolution des droits des femmes, de la Conférence de Beijing jusqu’à aujourd’hui. Article publié dans 50/50 magazine le 30 janvier 2025

Chronique Femmes du Monde : Israéliennes, Palestiniennes, Libanaises : une même douleur

Des femmes défilant dans une rue au Moyen-Orient. Image générée par IA

Article publié pour la première fois dans 50/50 magazine le 17 octobre 2024 Comme Sabra et Chatila en septembre 1982 et les milliers de réfugié·es palestinien·nes massacré·es en trois jours au Liban, le 7 octobre 2023 restera gravé dans nos mémoires comme l’un des jours les plus sombres du conflit sans fin israélo-palestinien et ses ramifications. C’était il y a un an, le Hamas perpétrait un massacre sans précédent en Israël faisant en quelques heures 1200 mort·es, 7500 blessé·es et 240 otages dont près de 100 ne sont toujours pas revenus à l’heure où nous écrivons. Deux enfants en font partie. Ils s’appellent Kfir et Ariel et avaient 9 mois et quatre ans quand ils ont été enlevés avec leurs parents du kibboutz Nir Oz, il y a un an. On ne sait pas s’ils sont toujours vivants. Des violences sexuelles et sexospécifiques d’une brutalité indicible ont été rapportées, outre des viols et des tortures. Les femmes juives de France et d’ailleurs ont été doublement blessées car après ce jour d’horreur, elles n’ont pas ressenti une grande solidarité, notamment des féministes dont elles attendaient plus de sororité, face aux violences subies par les Israéliennes. Je le dis haut et fort et je le répète : les Israéliennes ont payé cher cette guerre des hommes. Ne les oublions pas. Dès le lendemain, 8 octobre, le gouvernement israélien entamait à Gaza des représailles sanglantes, qui n’allaient plus s’arrêter et continuent jusqu’à ce jour, faisant plus de 42 000 mort·es – dont 11 000 enfants inclus 700 bébés -, 95 000 blessé·es et deux millions de Palestinien·nes déplacé·es, soit 80% d’une population gazaouie de 2,4 millions d’habitant·es. L’équivalent ou presque de la population parisienne qu’on évacuerait en urgence d’un bout à l’autre de la capitale, dans un sens puis dans l’autre. A Gaza, elles/ils ont été déplacé·es cinq, six, sept fois. Aujourd’hui, le gouvernement israélien restreint drastiquement l’accès du territoire à l’aide alimentaire et sanitaire, et interdit l’entrée dans Gaza de la presse et des media internationaux, ou des observateurs étrangers, de sorte que ce qui s’y passe est plus difficile qu’ailleurs à documenter. Ne nous y trompons pas. Comme dans tous les conflits actuels, 90% des victimes sont civiles et les deux-tiers sont des femmes et des enfants. Pas des combattants. Pourtant elles subissent à Gaza une des plus grandes catastrophes humanitaires de la planète et survivent dans des conditions alimentaires, sanitaires et sociales indignes du droit humanitaire international. Tsahal annonce avoir tué 17 000 membres du Hamas, qu’elle veut éradiquer. Est-ce à dire que, si l’on en croit ce chiffre, sur 42 000 mort.es, elle a tué 25 000 innocent·es pour rien ? Les deux tiers des infrastructures ont été détruites à Gaza par des attaques aériennes, maritimes et terrestres de l’armée israélienne et le blocus imposé par l’Etat hébreu finit d’y rendre la vie quotidienne « invivable » : pas d’eau, pas d’électricité, les 163 000 bâtiments de ce territoire sont devenus pour deux-tiers un champ de ruine, les zones humanitaires sont de plus en plus réduites avec les incessants ordres d’évacuation. 90% de la population vit désormais sur 40% de ce territoire d’à peine 365 kilomètres carrés, sous des abris de fortune (pas assez de tentes) au gré des déplacements forcés et de l’impossibilité où sont les Gazaoui·es de s’échapper hors de cette petite langue de terre en plein chaos, coincée entre la mer d’un côté et Israël de l’autre. La famine gronde : 83% de l’aide alimentaire indispensable à la survie de la population n’accède pas à Gaza, les habitant·es ne prennent en moyenne qu’un repas tous les deux jours et 50 000 enfants de moins de cinq ans auront besoin de traitement contre la malnutrition avant fin 2024. Et quand le gouvernement israélien laisse parvenir de trop rares ravitaillements, c’est le Hamas qui décide à qui les distribuer, pas forcément aux personnes qui en ont le plus besoin, dit-on. Le système de santé est démantelé avec plus de 60% des hôpitaux bombardés et hors service : 17 sur 36 fonctionnent partiellement seulement, la moitié des réserves de sang nécessaire aux soins vitaux et 65% de l’insuline ne sont pas accessibles ; les amputations de guerre disproportionnément nombreuses selon les témoignages, se font souvent, faute de produit et matériel, sans anesthésie des blessé·es – enfants compris – ; Gaza fait face à la résurgence de maladies disparues depuis 25 ans comme la poliomyélite. Avec la pénurie des produits d’hygiène comme le savon ou les couches, les Palestiniennes n’ont pas non plus accès aux protections menstruelles. Vivant dans des zones surpeuplées « avec dans certains endroits seulement une douche pour 700 personnes et une toilette pour 150 personnes » précise l’ONG Action Aid, elles n’ont pas d’intimité et doivent parfois attendre plusieurs semaines pour pouvoir se laver. Outre l’humiliation d’être obligées de garder leurs robes tachées du sang des règles et d’être sales, elles développent des infections génitales et urinaires et des allergies nouvelles. Selon l’UNICEF, cette précarité menstruelle ajoutée aux bombardements incessants et au bruit des détonations jour et nuit exacerbe les problèmes de santé mentale. Le système d’éducation est anéanti : 477 des 564 écoles de Gaza ont été rasées. C’est autant de filles et de garçons privés de ce droit fondamental. On sait que lors des conflits ou des crises et après, à cause du temps long de la reconstruction, du traumatisme, de la pauvreté et de la vulnérabilité accrues des familles survivantes, les filles sont davantage déscolarisées que les garçons. Elles deviendront plus facilement soutien domestique de la famille, subiront mariage et grossesses précoces, perdront leurs chances d’autonomisation. Ce sont des années et des années de recul des droits des petites palestiniennes qui s’annoncent, sur une terre dévastée par cette guerre et, faut-il le rappeler, régie par la charia qui ne promeut pas l’égalité entre les femmes et les hommes. Le patrimoine culturel multiséculaire de Gaza est ravagé par un an de bombardements. La majorité des mosquées et des centres de culte, la plupart des édifices culturels, … Lire la suite

Chronique Femmes du Monde : Palestiniennes et Palestiniens dans l’enfer de Gaza 2/2

Petite fille palestinienne sur un champ de ruines. Image générée par IA

Article publié la première fois dans 50/50 magazine le 12 juin 2025 La communauté internationale et les enjeux géopolitiques Devant une population palestinienne à l’agonie, dont le massacre continue de se dérouler sous nos yeux désormais quasiment en direct, de plus en plus de voix s’élèvent à travers le monde pour appeler à un réveil des consciences et à une réaction urgente de la communauté internationale. ONG humanitaires, Israélien·nes, artistes internationaux, écrivain·es, Juifs et Juives de la ‘diaspora’, mouvements citoyens exigent avec plus ou moins d’écho médiatique un cessez-le-feu immédiat, qui permettrait un répit pour les civil·es exténué·es et la libération des dernier·es otages israélien·nes survivant·es. Une guerre asymétrique Sur le terrain, Israël représente la quinzième puissance militaire du monde et la deuxième du Proche-Orient, avec une technologie civile et militaire de pointe et des services de sécurité intérieure et extérieure classés parmi les plus aguerris. Le pays, en conflit depuis sa création en 1948, consacre 4,5% de son PIB à son armement. Le Hamas, qui gouverne de facto la bande de Gaza dont il s’est emparé par la force au terme d’affrontements meurtriers avec le Fatah en 2007, « ne fait pas le poids ». Même si ses brigades se sont peu à peu transformées en force militaire plus traditionnelle et si, outre un armement probablement fourni par l’Iran et le Hezbollah libanais, sa capacité de production d’armes augmente, il ne dispose au final que de 20 000 à 25 000 hommes face aux 173 000 soldats en activité et 465 000 réservistes d’Israël. Dans cette guerre asymétrique, c’est la population civile palestinienne qui paie de sa vie. Des Etats divergents Du côté des Etats, géopolitique et géo-économie font souvent la paire. Les discours se montrent de plus en plus indignés, mais des armes continuent d’être envoyées à Israël par ses principaux fournisseurs : en premier et principalement les Etats-Unis d’Amérique, puis l’Allemagne, mais aussi la France et quelques autres pays européens sous forme, non d’armes létales, mais de produits à «double usage», c’est-à-dire utilisables à des fins civiles ou militaires, comme les pièces détachées pour fusils mitrailleurs que les dockers de Fos-sur-Mer ont refusé de charger à destination d’Israël début juin. Pour mémoire, comme 113 autres pays dont tous ceux de l’Union européenne, la France a ratifié le traité sur le commerce des armes interdisant à un Etat de vendre des armes s’il a connaissance « que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques contre des civils (…) ou d’autres crimes de guerre». Aujourd’hui, qui oserait encore prétendre qu’il n’y a pas crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ? D’autres Etats exportateurs ont, eux, suspendu leur vente d’armes à Israël. C’est le cas de l’Espagne, de l’Italie, de la Belgique, des Pays-Bas, du Canada ou du Japon. Plus largement, ce qu’on appelle le Sud global, l’ensemble géopolitique des pays non alignés sur une puissance occidentale, a manifesté son indignation face à ce qui se passe à Gaza. L’Afrique du Sud a déposé plainte pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de Justice, dès le 29 décembre 2023. Depuis, quatorze pays incluant plusieurs européens ont décidé de se joindre à sa plainte : la Belgique, l’Irlande, l’Espagne, la Bolivie, le Nicaragua, la Colombie, le Mexique, la Libye, la Palestine, l’Egypte, la Türkiye, le Chili, les Maldives et le Bélize. La France a annoncé vouloir reconnaître l’Etat de Palestine en ce mois de juin, rejoignant ainsi les 148 pays l’ayant déjà reconnu, soit les trois quarts des 193 Etats membres de l’ONU, mais aucun du G7. Elle serait ainsi la première de ce groupe censé rassembler les plus grandes puissances de la planète qui détient à lui seul 45% de la richesse nette globale. Cette reconnaissance peut contribuer à changer la donne géopolitique et donner un petit espoir que ce massacre cesse. Mais quand ? L’impuissance multilatérale Les organisations multilatérales s’émeuvent mais restent impuissantes. L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dénonce la situation humanitaire à Gaza : « Le massacre qui se déroule actuellement [est une] immense tragédie causée par l’homme et pour l’humanité tout entière, car nous la laissons se dérouler sous nos yeux sans intervenir ». Le Conseil de l’Europe considère que les attaques de l’armée israélienne dans la bande de Gaza « vont dans le sens d’un nettoyage ethnique et d’un génocide ». Même le chancelier allemand, Friedrich Merz, avoue en parlant d’Israël : « je ne vois pas quel est son objectif en affectant la population civile de la sorte», alors que Berlin était jusque-là un des plus solides alliés d’Israël. Enfin, la Commission européenne par la bouche de sa présidente, Ursula von der Leyen, dénonce : «L’intensification des opérations militaires d’Israël à Gaza, visant des infrastructures civiles (…), et tue des civils y compris des enfants, est odieuse». La seule question qui se pose à présent pour l’Europe, au-delà des déclarations, c’est de savoir si une majorité de pays de l’UE décidera d’agir contre la politique sanguinaire de B. Nethanyahu parce que «Trop, c’est trop» comme l’a martelé Ehud Olmert, ancien Premier ministre israélien, qui n’a pas de mots assez durs pour qualifier les agissements de son successeur actuel. Pour l’ONU, on ne peut nier les efforts convaincus et constants d’Antonio Guterres, son secrétaire général, pour exhorter à une trêve humanitaire urgente en clamant : «Gaza est un champ de mort et les civils sont pris dans une boucle mortelle sans fin.» Rien n’y fait, les Nations Unies seront impuissantes à impulser une dynamique d’action, aussi longtemps qu’au Conseil de Sécurité les Etats-Unis refuseront de voter un cessez-le-feu immédiat et définitif. Une société civile peu audible La société civile internationale a diversement réagi. Les ONG traditionnelles n’ont cessé d’alerter sur la catastrophe humanitaire de Gaza dès le début et jusqu’à présent. Les mouvements citoyens se sont manifestés rapidement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord mais peu aux Etats-Unis et en Europe. Et en France, le pays qui rassemble les deux plus importantes communautés juive et arabo-musulmane d’Europe, même si de nombreux appels à manifester ont eu lieu, on n’a pas … Lire la suite

Chronique Femmes du Monde : Palestiniennes et Palestiniens dans l’enfer de Gaza 1/2

Un enfant palestinien sur un champ de ruines

Article publié la première fois dans 50/50 magazine le 5 juin 2025 Gaza : plus d’enfants tué·es en dix-huit mois qu’en quatre ans de guerres dans le monde entier Encore combien d’enfants devront-elles/ils mourir à Gaza, avant que la communauté internationale s’interpose ? 15 000 enfants et bébés de Gaza sont déjà mort·es depuis le 8 octobre 2023 sous les bombes, par balles, sous les gravats des bâtiments écroulés. C’est plus que le nombre d’enfants tué·es en quatre ans de guerres dans le monde entier… L’ONU alerte sur le risque imminent que 14 000 autres enfants meurent de faim et faute de soins à cause de la destruction méthodique des infrastructures et du blocus alimentaire et sanitaire imposé par M. Benjamin Netanyahou, Chef du gouvernement israélien sous mandat d’arrêt international depuis le 21 novembre 2024, inculpé par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour « crime de guerre de famine comme méthode de guerre ; crimes contre l’humanité de meurtre, persécution et autres actes inhumains », avec M. Yoav Gallant son ancien ministre de la Défense, comme « supérieurs civils pour le crime de guerre consistant à diriger intentionnellement une attaque contre la population civile ». Depuis, Gaza, cette petite langue de terre de 360 kilomètres carrés à la densité de population la plus forte au monde, n’est plus qu’un champ de ruines. Plus de 54 600 Palestiniens et Palestiniennes sont mort·es entre le 8 octobre 2023 et aujourd’hui : 70% sont des femmes et des enfants. Plus de deux millions de personnes sont «en danger de mort imminente» selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 125 000 sont blessé·es et 100% de la population gazaouie est menacée de famine, selon l’ONU. Il y a donc urgence. De fait, les bombardements massifs s’abattent en continu sur des zones extrêmement peuplées, y compris les camps de réfugié·es, les hôpitaux, les écoles et les infrastructures essentielles. 94% des hôpitaux sont endommagés ou détruits. Les terres agricoles ont été ravagées et sont inutilisables à 95% (FAO). Selon plusieurs ONG dont Oxfam : «Israël utilise l’eau comme arme de guerre, à l’heure où l’approvisionnement de Gaza s’effondre de 94%, provoquant une catastrophe sanitaire mortelle». L’eau disponible correspond à moins de cinq litres par jour et par personne, l’équivalent de « moins d’une seule chasse d’eau» selon l’organisation. 95% des écoles ont été détruites. Adèle Khodr, la directrice de l’UNICEF pour la région, déclarait récemment : « Les enfants de la bande de Gaza ont perdu leur maison, les membres de leur famille, leurs amis, leur sécurité et leur vie quotidienne. Ils ont également perdu le lieu de refuge et de stimulation que leur offrait l’école, ce qui fait que leur avenir prometteur risque d’être assombri par ce conflit épouvantable». Derrière les chiffres, les mots et les récits nationaux, celui d’Israël, celui de la Palestine, «qui de la poule ou de l’oeuf…», derrière les théories et les théocraties, Il y a des humains : des hommes, des femmes, beaucoup de femmes, et des enfants, surtout des enfants, de manière disproportionnée. Des images des Gazaoui·es nous arrivent au compte-goutte, la presse internationale étant interdite d’accès à Gaza par l’Etat hébreu. Elles nous montrent des villes réduites à néant, des enfants affamé·es et dénutri·es, des milliers de personnes déplacées au gré des ordres d’évacuation d’Israël, vers le Sud, puis vers l’Est, puis de nouveau vers le Nord. L’ONU indique que 90% de la population totale ont subi plusieurs déplacements, plus d’une dizaine souvent, sur des routes dévastées et poussiéreuses, sous les bombardements incessants, sans possibilité de fuir dans cette enclave infernale, d’un camp de refugié·es à un abri de fortune : hommes, femmes, enfants, personnes âgées, valides, invalides. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNRWA) indique que Gaza compte le plus grand nombre d’enfants amputé·es par habitant·e au monde. Le matériel médical et les médicaments étant soumis au même blocus que l’eau, le gaz et la nourriture, il n’est pas rare que les amputations des adultes comme des enfants soient réalisées sans anesthésie. Kfir, Ariel, Ayssel, Asser, Jubran, Eve, Sidra et les autres… rien que des enfants Dans une précédente chronique du 17-10-2024, j’avais parlé de Kfir et Ariel, ces deux jeunes enfants israéliens de quatre ans et 9 mois, pris en otage avec leurs parents le 7 octobre 2023 par le Hamas. On ne les savait pas encore morts en captivité avec leur mère. Leurs photos avaient fait la Une des media et le sort de ces deux petits innocents nous avaient révolté·es, avaient révolté le monde. Aujourd’hui, on commence aussi à mettre des noms sur les petits cadavres gazaouis, qui n’étaient jusque-là que des chiffres déshumanisés pour l’Occident. On ne peut pas tous les citer, ils sont 15 000… Mais on peut, au moins, leur consacrer quelques lignes en rappelant deux tragédies parmi tant d’autres, tout au long de ce «massacre des innocents», qui dépasse désormais très largement l’objectif affiché d’éradiquer le Hamas dont les principaux chefs ont été tués – Ismaël Haniyeh, Yahya Sinouar et Mohammed Deif – selon Tsahal, l’armée israélienne elle-même. Mardi 13 août 2024. Un jeune père de famille marié depuis un an, revient fièrement chez lui avec les certificats de naissance de ses jumeaux récupérés à la commune. Il n’a pas le temps de revoir ses bébés. Dans l’intervalle, sa maison a été bombardée, sa femme Joumana Arafa et ses enfants, Asser et Ayssel, ont été tuées, ainsi que leur grand-mère. Les nourrissons, un garçon et une fille, avaient trois jours. Jusqu’à son septième mois de grossesse, Joumana, pharmacienne de 28 ans, avait aidé bénévolement à gérer le flux des blessé·es et des malades privé·es de médicaments, dans l’un des rares hôpitaux qui fonctionnaient encore partiellement à Gaza. Vendredi 23 mai 2025. Alaa Al-Najar, pédiatre palestinienne, venait de prendre son tour de garde à l’hôpital Nasser dans le sud de Gaza. Elle a vu arriver les dépouilles calcinées de neuf de ses dix enfants, tués par une frappe israélienne sur leur maison à Khan Younès. Elles/ils s’appelaient Yahya 12 ans, Rakan 10 ans, Eve 9 ans, Ruslan 7 ans, Jubran 7 ans, Revan 5 ans, Sayden 3 ans, Luqman 18 mois et Sidra 7 mois. Seuls survivants le père, médecin lui aussi, et un enfant, … Lire la suite